LARP in Progress

Fascisme ça commence comme fatigue mais on en meurt plus vite | 2024-06-13

J’ai l’impression que Macron nous force à faire un sprint alors qu’on courait déjà un marathon.

Pendant des semaines, je me suis dit : « allez, je tank, mais après je pars en vacances ». Je sentais ma concentration s’effondrer, ma précision, ma mémoire ; les fantômes de la dérégulation émotionnelle s’emparer de moi dès que je tournais le dos à un événement ou une réunion à laquelle je m’étais rendu·e, les insultes se déverser hors de ma bouche lorsque j’enfourchais mon vélo, « t’es conne Axiel putain, mais quel débile, abruti, t’es con, ferme ta gueule, t’es con, t’es con », les coups de pédale qui m’éloignent de moi-même de l’anxiété de l’effondrement ; « je me sens stable, mais dans un état où les voyants sont à l’orange – on n’est pas encore au rouge « coupez le moteur immédiatement », mais je reste vigilant », j’ai dit à mon psychiatre, et en sortant je me suis senti·e glisser une fraction de seconde et je me suis dit merde, en fait je passe pas le contrôle technique. Alors je gardais un œil ouvert pour me couver, il fallait faire attention, faire attention, me ménager, mais bientôt ça irait mieux, bientôt je serais en vacances.

Et là, Macron tente un coup de poker pour sauver son cul. Dissolution. Le seul espoir semble être à l’union de la gauche, cette gauche imparfaite hypocrite mais déjà trop extrême, extrême – ainsi l’infâme la calomnie à longueur de temps, les extrêmes, comme si ça n’était pas lui l’extrême, comme s’il n’avait pas envoyé des fascistes au parlement européen juste pour essayer de diminuer la raclée qu’il s’est prise, comme si sa police n’avait pas tué des dizaines de jeunes, laissé crever des gens en mer, comme s’il ne jouait pas premier degré au Jeu du FN™ depuis presque dix ans. Le mec joue à la roulette russe mais c’est pas lui qui se prendra la balle lorsqu’elle partira.

Alors moi je suis là, dans mon marathon, j’ai bientôt épuisé mon second souffle et je vois la ligne d’arrivée être repoussée. À nouveau, il faut se mobiliser. Les messages h24 sur les Discord et les Signal, les anarchatrans font campagne pour le Front Populaire, ouais on en est là – c’est pas qu’on croit à la politique politicienne mais you can’t wish fascism away, on n’est pas dans Peter Pan, les nazis disparaissent pas comme les fées quand on cesse d’y croire. Alors on vote pour avoir des chances de pas crever, d’un avortement clandestin, un défaut de soin, sous les coups de la police ou des fascistes ou par la corde qu’on aura attachée soi-même ; on vote parce qu’on a beau parler de nos mal-êtres, on a beau en chier, on a beau avoir envie de crever parfois ou même souvent au fond, on a envie de vivre ; on vote parce que c’est la merde mais c’est pas encore la merdella et même peut-être, sur un malentendu, on pourrait arracher quelques mois de répit avant la prochaine mobilisation nécessaire qui nous remettra sur les rotules.

Et puis on vote pour Gaza, pour la Kanaky, pour le Congo, on se mobilise avec la rage et la honte de s’agiter pour nos culs alors que dans les colonies de partout ça crame et ça flingue et ça bombe ; on vote parce que Macron n’a cure du sang sur ses mains –

du sang, quel sang ? Il n’y a pas de sang, prétendent-ils, gaslighting politique et médiatique d’un bloc bourgeois qui répand des mensonges et y croit peut-être sincèrement parfois, et la question de Butler s’imprime sur leurs bouches lorsque je chausse mes lunettes, « Qu’est-ce qui fait une vie ? » et la réponse dégueule fugace, la blanchité, l’argent, les intérêts politico-économiques du bloc occidental, je sais même plus la lire, mon cerveau grille parce qu’à force de se torcher avec la vérité iels se torchent aussi avec la cohérence et les discours s’enchaînent et se contredisent sans cesse, les mêmes bouches niant les mensonges d’hier avec les mensonges de demain, si vite qu’il est presque vain de les debunker, PRESQUE putain les journalistes faites votre boulot merde –

on vote pour un autre rapport de force, on vote pour avoir une meilleure prise sur les décisions politiques, on vote pour tirer sur le gouvernail

Macron nous force à courir, c’est sa stratégie depuis le début, on court, on crie et on s’épuise et lui se tape des kifs dans son monde mégalo où on n’est que des chiffres, des données, et les données ça s’interprète et ça se bidouille, franchement quelle importance qu’on soit des millions au bout à voir nos conditions de vie menacées, dégradées ou interrompues. On court et ouais on est épuisé, mais si on est épuisé c’est qu’on n’est pas mort, enfin pas tous, et tant qu’y a de la vie y a de l’espoir, et j’veux dire, y a vraiment de l’espoir en fait, y a une ouverture là, le boss fait son ulti et c’est là qu’il est vulnérable. Si on frappe assez fort maintenant, c’est game over. Enfin. Pas tout à fait. Mais c’est game tu-vas-en-chier-Manu, et franchement c’est mieux que tout ce qu’on a vécu depuis vingt ans alors ça vaut le coup de tout donner.

Bordel je suis fatigué·e et je me sens fissurer mais je suis pas seul·e et ça franchement c’est priceless. Si dans un mois c’est Bardella au moins on aura construit peut-être encore plus d’endroits où nous on est là aussi et on s’entraidera et on sera ingouvernable. Et si c’est la gauche dans un mois on sera ingouvernables aussi d’ailleurs.

Bon en vrai soyons ingouvernables. Mais de préférence avec des droits et des minima sociaux. Voilà. Votez, si ce n’est pour vous faites-le pour moi, je suis trop fragile pour le fascisme. Mais sans doute vous aussi donc votez pour vous en vrai. Bon.

Bref.

Je disais. La fatigue.

On va sprinter mais à son propre rythme.

On est ensemble.