LARP in Progress

Lettre #08 – Essentialiser ne sert à rien | 2024-07-18

J’aimerais qu’on arrête d’utiliser le verbe « être » pour parler d’oppressions exercées.

Quand on me dit « Bidule est transphobe », je ne sais pas si elle fait pas d’efforts pour genrer les gens, dit des choses ignorantes ou milite contre nos droits. L’essentialisation de l’oppression exercée m’empêche de savoir concrètement quel risque je cours. Et vu qu’il s’agit généralement de bruits de couloir – quand ils ne désignent pas des personnalités publiques, sur qui il existe en principe des dossiers que je peux faire l’effort de déterrer –, c’est vraiment très flou et problématique.

Est-ce que je cours un risque, fût-il émotionnel, en parlant à cette personne ?

Est-ce qu’une interaction superficielle sera d’emblée transphobe, ou puis-je avoir un échange « ordinaire » avec elle ?

Est-elle malveillante ou ignorante ?

A-t-on déjà pris le temps de lui faire remarquer en quoi ses propos, ses attitudes pouvaient être blessants ? A-t-elle conscience de cela, s’est-on assuré qu’elle savait qu’elle avait blessé des personnes ?

Est-elle volontaire pour s’améliorer, désire-t-elle travailler sur ses biais ? A-t-elle, peut-être, déjà commencé ?

Enfin, quelle fonction cet attribut, « Bidule est transphobe », remplit-il ? Pour qui le dit-on ? Dit-on cela pour protéger ou bien pour se rassurer, se distancier, se dire que puisqu’on est capable d’identifier la transphobie chez autrui, alors on doit en être dénué ?

Cette essentialisation de l’exercice de l’oppression n’est-il pas le meilleur moyen pour le perpétuer, la personne oppressive se trouvant entourée d’un cordon sanitaire fait d’évitement, le plus souvent sans en avoir conscience ? Essentialiser, n’est-ce pas le mouvement par lequel on ancre dans le marbre un phénomène social complexe et muable ?

De plus, au risque de répéter : la cisnormativité est un système, tout comme le patriarcat, la suprématie blanche, la norme valide, etc. Même être trans n’empêche pas d’exercer de la transphobie, y compris envers les autres. Nous participons toustes de ce système – à des degrés différents, surtout déterminés, à mon sens, par la finesse de compréhension que l’on a des systèmes d’oppression et la volonté active de s’y opposer.

L’essentialisation ne participe ni de la compréhension des systèmes d’oppression, ni des efforts pour y mettre fin.